La prise en compte des impacts environnementaux et socio-économiques dans la gestion des barrages du bassin du Mékong Mémoire de Florine ESTEVE
La prise en compte des impacts environnementaux et socio-économiques dans la gestion des barrages du bassin du MékongMémoire de Florine ESTEVEIRIS Sup 2014 -2015 Avec le soutien de l’Académie de l’Eau |
Introduction
Les six pays faisant partie du bassin du Mékong, à savoir la Chine, la Thaïlande, le Cambodge, le Laos, la Birmanie et le Vietnam, connaissant tous, chacun à leur rythme, à la fois une croissance démographique, un développement économique et un phénomène d’urbanisation accompagné d’une élévation du niveau de vie. Il en résulte notamment des besoins accrus en énergie tant pour les usages industriels que pour l’accès à l’électricité de la population étant encore mal desservie. Dans le contexte du changement climatique en cours, la production d’énergie d’origine hydraulique a l’avantage d’être propre et renouvelable. Les aménagements hydrauliques ayant été développés sur le Mékong et ses affluents sont des barrages à vocation multiples, c’est-à-dire des ouvrages construits en travers d’une rivière, destinés à en réguler le débit pour divers usages tels que le contrôle des crues, l’hydroélectricité, l’approvisionnement en eau des populations ou l’irrigation.
Ces barrages modifient la morphologie naturelle de la rivière et comportent inévitablement de nombreux impacts environnementaux et socio-économiques, c’est pourquoi ils ne semblent pas s’inscrire dans une démarche de développement durable1.
1 Le développement durable se définit en effet comme «un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs», d’après une citation de Mme Gro Harlem Brundtland, Premier Ministre norvégien (1987). Cette idéologie vise plus précisément à assurer un développement qui soit économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable.
Or, le Mékong et ses affluents présentent certaines spécificités les rendant particulièrement sensibles à la construction de barrages. Ils présentent notamment une biodiversité très riche et diversifiée, avec des écosystèmes adaptés à leurs caractéristiques hydrologiques, principalement au débit qui est marqué par une forte irrégularité liée à la mousson. Les barrages perturbent cet équilibre naturel. A défaut d’aménagement spéciaux, ils bloquent en particulier la migration des poissons, ce qui est un des facteurs entraînant une perte de la biodiversité, et modifient le débit, ce qui affecte les écosystèmes, provoquant notamment l’inondation de terres n’étant habituellement pas sous les eaux durant la saison sèche (pouvant être des terres agricoles).
Le Mékong est depuis toujours essentiel pour les populations de ces pays, puisqu’il a permis à l’agriculture et à la pêche de devenir les deux principales activités économiques pratiquées au sein du bassin. Les barrages remettent en cause la pérennité de ces activités, à la fois de par les déplacements de populations qu’ils génèrent à l’endroit où ils sont construits, ainsi qu’en raison de leurs impacts environnementaux.
L’importance de ces impacts environnementaux et socio-économiques nécessite que la conception et la gestion des ouvrages les prennent convenablement en compte afin de les limiter et/ou de les compenser.
La gestion des ressources en eau implique la planification et la mise en œuvre de politiques de développement permettant l’utilisation optimale de la ressource tout en respectant l’équilibre écologique. S’agissant d’un bassin hydrographique transfrontalier, c’est-à-dire partagé entre plusieurs pays, cette gestion doit être conjointe entre les différents Etats concernés car les impacts des barrages sont aussi de nature transfrontalière: c’est pourquoi une gestion concertée est indispensable pour que les pays tributaires des avantages et des inconvénients participent aux prises de décisions. La mise en œuvre d’une gestion intégrée serait par ailleurs bénéfique. Ce type de gestion est ainsi défini par le Global WaterPartnership (GWP) comme un processus «qui favorise le développement de la gestion coordonnée de l’eau, des sols, et des ressources connexes, en vue de maximiser, de manière équitable, le bien-être économique et social en résultant, sans pour autant compromettre la pérennité d’écosystèmes vitaux».
La prise en compte des impacts environnementaux et socio-économiques conduit en premier lieu à la nécessité de les évaluer par le biais d’études d’impact. Celles-ci peuvent concerner les impacts d’un seul ou des plusieurs barrages, à l’échelle d’un ou de plusieurs pays, de préférence avant la construction des ouvrages, ou à défaut après. Cette prise en compte renvoie dans un second temps, selon les conclusions de l’étude d’impact, à influer sur la décision de construire ou non un ou plusieurs projets de nouveaux barrages. Enfin, elle conduit, dans le cas où la décision de construire un barrage a été prise, à la mise en place de mesures d’atténuation visant à limiter les impacts, puis, dans le cas des impacts ne pouvant pas être réduits, à des mesures de compensation visant à proposer des alternatives d’ordre socio-économique.
Il apparaît important d’étudier l’intégralité du bassin versant, c’est-à-dire la totalité des territoires au sein desquels l’ensemble des eaux convergent vers un même point, à savoir le delta du Mékong qui se jette dans la mer de Chine méridionale. En effet, des barrages ont été 8 Construits et des projets existent non seulement sur le cours principal du Mékong, mais également sur ses affluents: le fait de ne considérer que le Mékong aboutirait à une prise en compte in complète de la problématique.
L’existence de nombreux impacts négatifs semble s’inscrire dans le fait que les bénéfices à court terme, notamment économiques, prévalent sur les questions de développement durable qui prendraient également en considération les impacts environnementaux et socio-économiques négatifs.
Elle semble par ailleurs résulter d’une coopération insuffisante entre les Etats du bassin, ne permettant notamment pas à ceux craignant les impacts négatifs des barrages d’influer sur la prise de décision au sein des autres pays.
Entre 1957 et 1995, deux organisations internationales ont été créées afin de mettre en place un système de gestion concertée des cours d’eau à l’échelle du bassin du Mékong; cependant elles n’ont pas mis en œuvre de véritables principes de gestion conjointe, mais se sont limitées à la conduite d’études ayant cependant permis d’améliorer la connaissance du bassin.
En 1995,l’accord du Mékonga été signé entre quatre Etats du bassin, à savoir le Laos, le Vietnam, la Thaïlande et le Cambodge. Cet accord formule les grands principes de gestion conjointe des ressources en eaux du Mékong sur lesquels les différents Etats membres se sont engagés à coopérer, dans le but d’assurer un développement durable du bassin. Cet accord a par ailleurs instauré la Commission du Mékong, une organisation intergouvernementale qui vise à formuler des principes de gestion concertée afin de compléter le dit accord.
Au cours de nos recherches bibliographiques, nous nous sommes efforcés d’adopter une démarche pluridisciplinaire, en se basant notamment sur des sources permettant de comprendre la portée scientifique, sociale, économique, géopolitique, juridique, mais également institutionnelle du sujet.
Afin d’identifier les impacts environnementaux et socio-économiques générés par les barrages, nous avons principalement analysé les différentes études d’impact ayant été menées à l’échelle régionale, qui permettent d’appréhender les impacts cumulatifs de plusieurs ouvrages déjà construits ou bien planifiés, et d’avoir ainsi une vision de leur ampleur(la principale étude ayant été étudiée est la suivante:“Strategic Environmental Assessment of hydropower on the Mekong mainstream -Final report”, Mekong River Commission, octobre 9 2010).A l’inverse, les études d’impact étant menées à l’échelle d’un seul ouvrage n’auraient pas permis d’avoir une vision complète des impacts.
Concernant la gestion des barrages, nous avons tout d’abord effectué des recherches d’ordre institutionnel concernant les principes de gestion promus par la Commission du Mékong. Nous nous sommes attachés à compléter cette recherche par la lecture de documents mettant en lumière les carences de ces principes(tels queRichard, Vanessa,La coopération sur la gestion des cours d’eau internationaux en Asie, ainsi que Herbertson, Kirk, «The Mekong Dams Dispute: Four Trends to Watch”, International Rivers, 15 août 2013).Nous avons ensuite analysé la manière dont les impacts des barrages étaient effectivement pris en compte au sein des différents Etats du bassin du Mékong, en recherchant plus précisément les failles d’ordre géopolitique, juridique ainsi que technique. La documentation disponible sur la gestion des barrages concerne surtout la prise en compte des impacts environnementaux, tandis que celle des impacts socio-économiques est moins documentée.
Nous avons également analysé plusieurs rapports et articles traitant des recommandations qui permettraient d’améliorer la gestion des barrages (tels que Keskinen, Marko ;Kummu, Matti ;Käkönen, Mira et Varis, Olli,“Mekong at the Crossroads: Next Steps for Impact Assessment of Large Dams”, National Center for Biotechnology Information, 13 avril 2013, ainsi que Jian, Ke et Qi, Gao, “Only One Mekong: Developing Transboundary EIA Procedures of Mekong River Basin”, Pace Environmental Law Review, juillet 2013).Les divers document étudiés n’abordent les recommandations que de manière fragmentaire, et concernent principalement l’amélioration des études d’impact environnementales.
Il convient donc de se demander en quoi la gestion des barrages du bassin du Mékong pourrait être améliorée afin de limiter les impacts environnementaux et socio-économiques.
Nous reviendrons dans un premier temps sur la nature des impacts environnementaux et socio-économiques des barrages sur le bassin du Mékong. Au sein de cette partie, nous tâcherons plus précisément de décrire en quoi ce bassin est particulièrement vulnérable à la construction de barrages, en raison de ses caractéristiques et de son rôle central vis-à-vis des activités humaines. Nous détaillerons ensuite quels sont les divers enjeux environnementaux et socio-économiques engendrés par les barrages, en cherchant à en appréhender l’ampleur.
Puis, nous verrons en quoi la gestion actuelle des barrages de ce bassin ne prend que peu en compte ces impacts. Nous reviendrons pour cela sur les principes de gestion conjointe élaborés par la Commission du Mékong, en étudiant en quoi ceux-ci présentent de nombreuses carences. Nous nous interrogerons par la suite à la manière dont ces barrages sont effectivement gérés au sein des différents Etats du bassin du Mékong, et nous verrons que cette gestion est généralement complexe.
Au vue de la compréhension des failles de la gestion actuelle des barrages concernant la prise en compte des impacts environnementaux et socio-économiques, nous formulerons pour finir des recommandations afin qu’une gestion conjointe des barrages permettant de limiter ces impacts soit instaurée. Il s’agirait dans un premier temps de promouvoir un développement de l’hydroélectricité qui soit raisonné, puis, dans un second temps, d’améliorer la prise en compte des impacts par le biais d’une coopération renforcée, d’une amélioration des études d’impacts en amont, ainsi que des mesures d’atténuation et de compensation en aval.
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